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  • Chapitre 5/5

05. Faux-semblants

A ses yeux seule la Quête comptait. Que dire, si ce n’est que rien n’était moins vrai. J’en suis aujourd’hui encore intimement convaincu. Un mensonge. On ne peut plus sincère peut-être, mais rien moins qu’un mensonge, auquel Zool a longtemps cru aveuglement. Pour faire bonne figure, pour rassurer les siens ou bien se rassurer lui-même.

En fait il y a cru jusqu’à ce jour fatidique sur la montagne. Cette épreuve dont ni lui ni Peau Rouge et ni non peuple allaient ressortir indemnes.

Avant ces événements, Zool était surtout connu comme étant celui qui voulait la Quête. Plus que tout et plus que n’importe quel autre enfant. Porter des tresses et devenir adulte, pour qu’il ait enfin son mot à dire et un jour, espérait-il, sa loi à faire. Comme son père. Pour y parvenir, on le savait prêt à tous les sacrifices et à ne reculer devant aucun effort. Les exemples étaient légion dans sa courte vie, aussi nombreux que les coups de bâtons.

Paradoxalement, la plupart des encouragement venaient de ceux qu’il haïssait le plus au quotidien. Des chamans aux plus rigoristes, tous les croyants, au moins sur ce point, l’érigèrent en exemple à suivre sur la Prairie. Autant dire le plus grand nombre, pour lesquels il n’avait que mépris.

Dans son clan, seuls son père et quelques femmes osaient braver la discipline, en le mettant régulièrement en garde contre tant d’empressement. Sans grand résultat toutefois. Malgré toute leur expérience, ils ne pouvaient rien contre la jeunesse.

Quand vint leur bêtise, celle qui allait tout précipiter, Loup Garou se retrouva au pied du mur, acculé par le chaman. Aussi il n’eut pas d’autre choix que d’obéir à la pression populaire, contraint et forcé. Zool était seulement déçu de partager sa Quête avec Peau Rouge. Il n’en voulait déjà pas pour ami, alors comme équipier. Dans une vie rêvée, il l’aurait faîte en compagnie de Soleil Vert, unis pour la vie.

Une cruelle désillusion donc, au point qu’il voulut repousser ce moment tant attendu. Au moins de quelques jours, pour que chacun puisse se trouver un nouveau partenaire. Pour une fois qu’ils partageaient tous les deux le même avis ! Contrairement à Peau Rouge, il lui manquait juste un peu de volontaires.

Toute la soirée il avait harcelé son père, convaincu de son bon droit. En vain cependant, car la bête était tapie dans l’ombre, insidieuse et malfaisante. Elle aussi avait utilisé son temps à bon escient. A siffler à l’oreille de son père, tel un serpent crachant son venin. Et ses si précieux conseils, dans la pénombre de la nuit, ressemblaient beaucoup à des menaces.

Retirer la sentence, c’était prendre le risque de perdre toute autorité. En ces temps si difficiles, le clan ne pouvait pas se le permettre. Conséquence, à minuit le chaman avait pris les choses en main. L’avenir de Zool et de Peau Rouge au sein du clan. Sous couvert du bien commun évidemment.

Mais le plus important n’était pas là, car en gagnant ce duel, le fourbe avait surtout affaibli Loup Garou. Ce prodige de la nature, dont l’aura allait sans cesse en grandissant sur la Prairie. Une insulte pour les chamans, et un danger pour leur autorité. Si jamais il arrivait malheur à son fils unique, et par sa propre faute, qui plus est durant la Quête, alors chacune de ses décisions serait désormais remise en question.

Bien sûr, Loup Garou n’était pas dupe. Il vit le piège se refermer. Sur lui, sur Zool et sur Peau Rouge. Immédiatement il avait compris, qu’il avait commis là une terrible erreur. En laissant ce prêcheur agir à sa guise, et réciter librement ses discours empoisonnés. Il aurait plutôt dû écouter son fils et reculer de quelques jours.

Fidèle à lui-même, il passa le reste de la nuit à essayer de trouver une solution. Car tout ce qui lui comptait à présent était de veiller sur les deux garçons, même de loin. L’important était de rester discret, de faire vite, et surtout d’agir à l’insu des chamans. Pour le reste, il ne pouvait plus que prier, attendre et espérer.

Zool quant à lui était bien loin de partager son inquiétude. L’insouciance de la jeunesse. Certes il était déçu du choix de son partenaire, mais il avait des ressources et savait de qui tenir. Cette nuit là il ne dormit que très peu, ravagé qu’il était par l’excitation. Et par un affreux cauchemar, plein de couleurs et de rires obscènes, sinon moqueurs. Pas de doute, même inconsciemment Peau Rouge était à l’oeuvre, encore et toujours.

A tout réfléchir, la situation n’était pas si mauvaise, et il sut intelligemment faire contre mauvaise fortune, bon coeur. Il partirait en Quête demain matin. Depuis le temps qu’il attendait ce moment. Peu importe avec qui finalement, et tant pis si c’était l’autre. A l’heure de fermer les yeux, il n’y voyait déjà plus que des opportunités. Quant à Soleil Vert, il la retrouverait à son retour, en homme cette fois. Le sien.

Un mensonge je disais donc, car la vérité, comme bien souvent, était légèrement différente. Beaucoup plus simple et beaucoup plus égoïste. Beaucoup plus humaine en somme, au point que Zool n’osait pas encore se l’avouer. A ce moment précis de l’histoire, quand bien même la Quête lui paraissait importante, pour ne pas dire capitale, la fin de l’enfance, elle n’était absolument rien au regard de Kazak Drinn.

Cette montagne était la sienne et ce depuis toujours. Depuis qu’il était en âge de fouler du pied cette interminable Prairie. Depuis sa toute première bastonnade, les yeux rivés vers son sommet. Depuis que son dos avait compris tout le poids, et toute la douleur de l’interdit.

Si la Quête se voulait le point de départ de sa vie d’adulte, alors Kazak Drinn en serait le but ultime. L’oeuvre d’une vie. Lui aussi en était intimement convaincu, autant que moi par sa douce illusion. Car de toute évidence, il n’était pas venu jusqu’ici par hasard. Une volonté secrète était à l’oeuvre. La sienne. Il voulait voir derrière. Au delà du bord du monde.

C’est pourquoi l’idée même d’abandonner maintenant, alors qu’il n’en avait jamais été aussi proche, qu’il n’en avait jamais vu ni les couleurs, ni les contours d’aussi près, était pour lui un vrai crève-coeur. C’était sa montagne ! Il ne pouvait se résigner à la quitter. Il le refusait.

Samedi 2 mai 2020

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